Entre fascisme, révolte gauchiste et répression
« Au sein de la nébuleuse révolutionnaire, un terme
semble résumer la vision de la période : celui du fascisme. De la
répression au fascisme, le glissement s’opère en effet aisément. […] La
logique qui anime de telles interprétations n’est pas de l’ordre de la
rationalité, mais de la « rage » contre un pouvoir qui réprime et une
société qui refuse de faire sienne la perspective révolutionnaire. […] Le
fascisme est annoncé sur le mode de l’imminence. Il est censé venir
d’ « en haut », de l’Etat lui-même et plus précisément du
ministère de l’Intérieur. […] Au début des années soixante-dix, le thème
du fascisme structure une représentation de la société française et une façon
de raisonner ou de déraisonner dont la France des années quatre-vingt-dix subit
encore les effets. Loin de combattre le danger réel que constitue la montée de
l’extrême droite en France, cette vision entretient une dangereuse confusion. »
Voici ce qu’écrit Jean-Pierre Le Goff, philosophe de formation
et sociologue, dans son livre « Mai 68, l’héritage impossible » (La
Découverte). Je précise que cet ouvrage était initialement sorti dans les
années quatre-vingt-dix, donc avant le score de Jean-Marie Le Pen aux élections de 2002, et bien avant l’arrivée
de Nicolas Sarkozy au ministère de l’Intérieur.
On peut distinguer deux Mai 68 : celui qui a démarré
bien avant cette date et qui a véhiculé la pensée anarchiste et apolitique
(d’une génération qui vécue la transition entre l’époque de ses parents qui
avaient connu la Guerre et celle de ses enfants qui ne connaissent que la
guerre économique de consommation et de loisirs) qui a abouti à la pensée
humaniste de la société et la civilisation dans laquelle nous vivons encore à
l’heure actuelle, une sorte de pensée soixante-huitarde symbolique à laquelle
nous n’hésitons pas à faire référence (en bien ou en mal) régulièrement encore
de nos jours ; et celui - beaucoup plus politisé à l’extrême gauche, qui a
démarré en mai, mais qui s’est largement étoffé dans son immédiat d’après (les
étudiants et « enragés » qui se sont aperçus que la révolution
n’était pas réalisable sans l’appui des ouvriers se sont soudainement
rapprochés des multiples partis prônant la révolution et des syndicats qu’ils
rejetaient quelques semaines auparavant – rappelons que les accords de Grenelle
négociés par les syndicats n’ont jamais été signés mais en partie appliqués
dans les mois qui suivirent par le gouvernement). Ce Mai 68-là était en ce sens
bien plus proche de la révolution gauchiste que de la pensée libertaire
omniprésente à l’époque ; c’est d’ailleurs en ce sens que la révolte n’a
jamais pu aboutir : si l’opinion publique eut un courant de sympathie au
départ des faits en voyant la (sévère) répression de la police sur les manifestants,
elle s’en est vite détachée en voyant la violence de certains de ses mêmes
manifestants/émeutiers, et la peur d’une révolution communiste comme il avait
pu en avoir dans d’autres pays (et dont la menace était très présente et réelle
à l’époque) a fait voté les citoyens pour le gouvernement en cours (« J’me
souviens surtout d’ces moutons, effrayés par la liberté, s’en allant voter par
millions pour l’ordre et la sécurité » chantera des années plus tard
Renaud).
Je ne peux m’empêcher d’émettre les similitudes qu’il y a
entre l’époque de Mai 68 et la notre (bien que je sois conscient que cela n’ait
strictement rien à voir) : la facile assimilation entre Nicolas Sarkozy et
le fascisme par ses opposants, le rejet de l’autorité et la violence envers les
force de l’ordre, les émeutes contre le Président nouvellement (et
démocratiquement) élu…
A ce propos, je souhaiterais éclaircir ma position à ce
sujet : pour moi, manifester son mécontentement et son opposition aux
réformes que proposent le gouvernement, c’est un droit, et je dirais même que
c’est utile et nécessaire pour s’exprimer et montrer que le gouvernement
propose des lois qui ne conviennent pas forcément à tout le monde, ni à toute
les visions du monde (cela montre, en fait, que quoi qu’il se passe, la
sanction - par le biais du vote, n’est jamais très loin) ; chercher à
imposer son opinion au gouvernement et au peuple français en manifestant son
désaccord sur la récente élection d’un Président (qui n’est d’ailleurs pas
encore entré en fonction) ou en réclamant qu’un projet de loi soit purement et
simplement abandonné sans quoi on bloquera certains accès du et au pays, c’est
anti-démocratique ; casser et brûler des voitures et des vitrines de
magasins de personnes qui n’ont rien demandé ou s’en prendre aux fonctionnaires
de police (ou aux pompiers), c’est tout simplement intolérable et inadmissible.
D’autant plus que, croyez-moi, ça ne fait que renforcer l’opinion publique
envers M. Sarkozy, qui ne regarde plus que l’Etat fort prôné par ce dernier (pour
preuve, la perte des voix de M. Le Pen au profit de l’ancien ministre de
l’Intérieur), au lieu de se pencher sur ses vraies idées et réformes qui
seraient bien capables de le perdre…
Si la Gauche (ses cadres comme ses sympathisants) veut
vaincre Nicolas Sarkozy aux prochaines élections (législatives ou
présidentielles), il va falloir qu’elle s’organise différemment de ce qu’elle a
pu montré jusqu’à présent, et qu’elle fasse front, idéologiquement.