Mai 68, l’héritage impossible – Jean-Pierre Le Goff (La découvertes/Poche)
« Mai 68 est sans contexte l’évènement social et
culturel le plus important qu’ait connu la société française depuis 1945. Et
pourtant, près de quarante ans après, il est toujours loin d’être assumé en
tant que tel ». En effet, comment contester que Mai 68 ait encore une
place des plus spéciales au sein de notre société ? Personne n’a-t-il
jamais entendu les syndicats menacer d’un nouveau Mai 68 ? Les
gouvernements parler de Grenelle ? La Droite vouloir combattre les idées
de Mai ? La Gauche vouloir les perpétrer ? C’est en en partant de ce
constat que Jean-Pierre Le Goff a décidé en écrivant ce livre de contribuer à
faire « assumer enfin de façon critique l’héritage de Mai »…
Première remarque, l’auteur est un philosophe de formation
et sociologue, et autant dire que cela s’en ressent dans son récit : il
privilégie en effet le côté sociologique sur le côté historique des faits. Aussi,
je vous conseille vivement de bien connaître votre sujet avant de vous lancer
dans la lecture de cet essai.
M. Le Goff commence donc son livre en relatant les
évènements de Mai 68, leurs causes et leur idéologie. Il nous explique ainsi
que les soixante-huitards étaient des étudiants en manque de militantisme (dû
en grande partie à un ennui profond), qui ont réussi à entraîner leurs jeunes
collègues dans une contestation anarchique et joviale de la société
contemporaine.
Planaient alors un fort rejet de tout engagement politique
(ou syndical – rappelons que les accords de Grenelle négocié par la CGT seront
rejetés par les manifestants), ainsi qu’un pacifisme profond, qui ne fut hélas
pas respecté par tous : si la répression des forces de l’ordre sur les
manifestants a attiré la sympathie de l’opinion publique envers les jeunes, la
violence grandissante de ces derniers finît par retourner les choses contre
eux, et c’est largement que le Parti du Général De Gaulle remporta les
élections anticipées qu’il avait demandé…
C’est ainsi que la deuxième partie de se livre est consacrée
à la politisation de ce mouvement, suite au fait que certains « enragés »
comprirent qu’ils ne pourraient amener la révolution sans l’aide de la classe
ouvrière. L’auteur nous décrit donc les divers courants d’extrême gauche
(trotskiste, marxiste-léniniste et maoïste pour les plus répandus), sa flambée
et son implosion, avec un petit chapitre sympathique dédié à la naissance du
quotidien Libération.
Malheureusement pour la Gauche, une grande partie des
ouvriers (lorsqu’ils ne sont pas dans la crainte d’être abandonnés du jour au
lendemain par ces étudiants plein de fougue) se complait dans le système
capitaliste de l’époque, en tout cas suffisamment pour ne pas vouloir risquer
de faire une révolution.
La troisième partie traite d’une contre-culture naissante
qui lancera bien des courants de pensée qui seront toujours d’actualité
aujourd’hui : l’apprentissage, le féminisme, l’écologie etc. C’est d’ailleurs en partie
ces mouvements (qui prennent de plus en plus d’ampleur) qui seront à l’origine
d’un certain déclin des idées communistes pures et dures. Jean-Pierre Le Goff
n’hésite pas à nous citer quelques exemples où la théorie suivie et poussée à
l’extrême (notamment pour le féminisme, qui en vient à proclamer les bienfaits
d’être lesbiennes plutôt qu’hétérosexuelles – plus par conviction que par
sentiment, et parfois à assassiner ses propres enfants handicapés considérés
comme des entraves à leur liberté) peut devenir dangereuse.
C’est la publication en France de certains ouvrages
dénonçant le Communisme (les goulags, les déportations etc.) qui verra à jamais
disparaître le fort mouvement de sympathie concernant la Gauche et ses idées
révolutionnaires. Certains « nouveaux philosophes » - dont
Bernard-Henri Lévy (sur lequel l’auteur ne mâche pas ses mots – un régal !
;-) se faisant, après avoir soutenue les idées marxiste, les grands
dénonciateurs de ce système et ont ainsi créer – selon M. Le Goff « l’ère
du vide » que la France a traversé dans les années qui suivirent…
Vient ensuite la, ou plutôt les conclusions de l’auteur dans
lesquelles il nous réaffirme (entre autres) que « Le gauchisme a voulu
concrétiser jusqu’au bout l’utopie de la Commune étudiante et en a montré
l’impossible réalisation » ; que de nos jours encore Mai 68 a du
mal à sortir d’un schématisme qui en fait un bouc émissaire ou bien au
contraire « le précurseur d’une libération des mœurs et de la culture
qui triomphe aujourd’hui » et, pour terminer, que cela rend
l’héritage de Mai impossible car « C’est hors de ce champ qu’un
renouveau de la politique et de la culture est possible ».
Il est bien entendu que je n’ai retracé ici que les grandes lignes que j’ai pu retenir de la lecture de ce livre, et qu’il mériterait bien plus de place si l’on voulait en décrire tout ce qu’il contient (bien que les commentaires restent évidemment ouverts aux éventuels débats) car, comme l’affirmera Télérama « C’est un gros pavé sur Mai 68. (Et un sacré pavé dans la mare !) », rempli de références aux écrits de l’époque qui le rendent certes difficile à aborder, mais qui – je peux vous l’assurer, est vraiment très intéressant et instructif à lire.