Traité d’athéologie – Michel Onfray (Grasset)
Depuis la sortie du « Da Vinci Code » de Dan
Brown, il est revenu à la mode de remettre en cause (voire de blasphémer) les
religions… La philosophie n’échappe pas à la tendance (bien qu’à l’origine,
celle-ci avait des doutes depuis plusieurs siècles à ce propos). Cependant, si
certains (pseudo-)philosophes se contentent de critiquer gratuitement une seule
religion,
Michel Onfray, lui, met à plat toutes les religions (principalement les trois
monothéistes à l’origine des grandes civilisations de notre époque) et les mets
en parallèle afin d’en étudier les points qui vont à l’encontre de sa
théorie (à savoir l’hédonisme, c’est-à-dire la consécration du plaisir
comme souverain bien).
Une petite remarque cependant : même s’il s’en défend
(« Je ne méprise pas les croyants », préférant « combattre
leurs bourreaux »), les propos de l’auteur sont quelques fois à la
limite du manque de respect. A titre d’exemple, devant un musulman qui
s’agenouille pour prier, il a « l’impression d’assister à une scène
primitive ».
Après une rapide préface et une introduction qui nous
mettent en bouche, M. Onfray entre dans le vif du sujet. Dans la première
partie, l’auteur nous relate l’histoire de l’athéisme - d’où il exclut Epicure
et Spinoza, de l’abbé Meslier à Nietzsche, avant de nous expliquer pourquoi
nous sommes toujours dans une société (bien que laïque) guidée par la religion
(parfois par manque de culture - en prenant par exemple la crèche). Pour cela,
il nous donne l’exemple des églises qui se vident le dimanche, mais qui restent
toujours autant remplie les jours de Baptême, de mariage et
d’enterrement ; et nous incitent à ouvrir les yeux sur la non-indépendance
à la religion de la médecine occidentale et des comités d’éthiques laïcs, en
citant la proximité avec la position de la Charte des personnels de la santé du
Vatican, notamment sur les mères porteuses, la procréation médicalement
assistée, le clonage, l’euthanasie etc. privilégiant les soins palliatifs et le
rôle de la douleur. Selon Michel Onfray, il en est de même pour notre système
judiciaire dans lequel « le juge peut jouer à Dieu sur Terre »
en envoyant le criminel sexuel « croupir dans une cellule d’où on le
sortira après avoir négliger la maladie qui l’afflige », sans compter
sur les manuels de morale des écoles républicaines.
De cette façon, il en arrive même à accuser les philosophes
contemporains tel que Luc Ferry, André Comte-Sponville ou même Bernard-Henri
Lévy d’athéisme chrétien : c’est-à-dire un « négateur de
Dieu qui affirme en même temps l’excellence des valeurs chrétiennes »,
« Jésus reste le héros des deux visions du monde, on lui demande
seulement de ranger son auréole ». En toute honnêteté, le débat reste
ouvert sur ce point car - selon moi, même si les proximités citées par M.
Onfray sont fondées, il ne faut pas non plus aller jusqu’à renier les valeurs
humaines qu’ont pu instaurer les religions et (en ce qui nous concerne) la
philosophie des Lumières. Je serai d’ailleurs curieux de voir ce que proposerait l’auteur en
remplacement de ces systèmes, mais il passe hélas trop rapidement sur sa
théorie (peut-être voulait simplement avec ce livre ouvrir la voie à un second
plus détaillé ?).
Dans une seconde partie, Michel Onfray tente de déconstruire
les trois religions monothéistes en montrant à quel point – malgré les différences,
elles peuvent se rejoindre, notamment sur la haine (de l’intelligence ; de
la vie ; de l’ici-bas – au profit d’un au-delà ; du corps ; des
femmes ; du sexe – pas de rapport anal car dissocié de la procréation, etc.),
bien qu’il conçoit que « bien sûr, tous enseignent l’amour du prochain ».
Il fait remarquer que seuls les Hommes sont capables de s’inventer des Dieux,
de se prosterner, de s’humilier (bien que l’on pourrait lui objecter que ce ne
sont pas les seules différences entre les Hommes et les animaux) ; que les
religions « vantent un au-delà (fictif) pour empêcher de jouir
pleinement de l’ici-bas (réel) » ; que le christianisme – par le
biais du jardin d’Eden où tout est permis sauf l’intelligence et l’immortalité
(arbre de la connaissance et de la vie), invente un Dieu suffisant pervers pour
réserver aux Hommes l’imbécillité et la mortalité ; il dénonce la honte
juive de devenir père d’une fille ou la supériorité dans l’islam des mâles sur
les femelles, la circoncision « qui consiste à retrancher une partie
saine d’un enfant non consentant sans raison médicale – la définition juridique
de… la mutilation » ; la légitimation des coups sur son épouse en
cas de suspicion ( !) ; fait remarquer que les trois monothéismes
réprouvent sur le fond l’esclavage (puisqu’ils l’interdisent pour les membres
de leur communauté) mais ne le condamnent ou ne l’interdisent pas forcément.
Puis, l’auteur se penche sur la déconstruction plus
particulière du christianisme dans une troisième partie en commençant par citer
les origines historiques (douteuses) de la Bible et les contradictions qu’elle
contient : « autant de signes qui témoignent d’une construction
postérieure, lyrique et militante de l’histoire de Jésus » ; puis
démontre comment - dès ses origines, l’Eglise séduit et flatte les personnes
qui détiennent le pouvoir, légitime et justifie le dénuement des miséreux, afin
de se ranger du côté des tyrans ; expose au grand jour qu’elle n’interdit
pas l’esclavage, et chasse le paganisme (ainsi que le judaïsme).
Dans la quatrième et dernière partie, M. Onfray veut
déconstruire les théocraties qui supposent la revendication du pouvoir issu de
Dieu, afin de pouvoir réfléchir ensuite à une nouvelle éthique car, selon lui,
il n’y a « nul besoin de menacer d’un Enfer ou de faire miroiter un
Paradis […] pour inviter à l’action bonne, juste et droite » :
« mieux vaut une vérité qui désespère tout de suite […] qu’une
histoire qui console sur le moment, certes, mais fait passer à côté de notre
seul vrai bien : la vie ici et maintenant ». En effet, toujours selon
lui, le paradis promis par les religions n’est rien d’autre qu’un antimonde où
« tout ce qui a été interdit devient libre d’accès »…
L’auteur explique ainsi que les trois Livres peuvent
justifier autant les actes les plus doux et aimants que les plus cruels et
intolérants ; puis se penche plus spécialement sur les relations ambiguës
qu’ont pu entretenir l’Eglise et Adolf Hitler (qu’il ne considère pas vraiment
comme un athée) avant et pendant la guerre, sans compter ensuite après la
guerre avec le nazisme sous toutes ses formes.
Bien entendu, tout au long du livre (qui ne respecte pas
toujours l’ordre et le contenu des chapitres attitrés) ressortent quelques
exemples d’incitation (mêmes indirectes) à des bains de sang des religions telle que
les attentats terroristes, les expéditions punitives dans la bande de Gaza, les
agissements des prêtres pédophiles, les bûchers chrétiens, les fatwas
musulmanes etc. Les exemples pleuvent sur les trois religions concernées sans
aucune « préférence », et l’auteur termine en nous affirmant que
devant un tel choix, il préfère encore la philosophie…
En guise de conclusion et pour donner mon avis personnel, en
tant qu’agnostique (non-croyant qui ne nie pas pour autant l’existence de
Dieu), je dois dire que j’ai été un peu déçu par cet ouvrage, tellement le
concept me paraissait innovant et génial : je m’attendais à voir Michel
Onfray opposer à chaque contrainte de la religion une théorie hédoniste qui
nous aurait encouragé à profiter de chaque instant de la vie afin de ne pas la
gâcher, car nous n’en avons qu’une ; ce livre ressemble au final plus à un
procès des religions monothéistes qu’à une véritable incitation à devenir athée,
ne laissant que peu, très peu (voire aucune) place à sa théorie sur le
dépassement de la théocratie. C’est mon petit regret : cet essai
n’arrivera pas à convaincre un croyant (même hésitant) de changer d’avis… Il
reste cependant très intéressant à lire, et je le recommande fortement à
quiconque est intéressé par le sujet.
A noter qu’un anti-traité d’athéologie est paru quelques
temps après, et qu’il fera prochainement l’objet d’une étude sur ce blog.
Sachant que l’objectivité n’est pas le point fort de notre philosophe, je pense
que nous aurons droit à quelques belles surprises…
PS : C’est ma plus longue chronique depuis que j’ai
ouvert ce blog, désolé si je l’ai été un peu trop, mais j’ai préféré ne pas la
diviser en deux parties (comme j’avais pu le faire, par exemple, pour celle
consacrée au projet socialiste) afin que vous puissiez rester tout au long de
sa lecture dans le vif du sujet.
Vos impressions et commentaires seront - bien évidemment et
comme toujours, les bienvenus.