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Le grand salon de discussion
27 juillet 2007

Traité d’athéologie – Michel Onfray (Grasset)

Trait_Depuis la sortie du « Da Vinci Code » de Dan Brown, il est revenu à la mode de remettre en cause (voire de blasphémer) les religions… La philosophie n’échappe pas à la tendance (bien qu’à l’origine, celle-ci avait des doutes depuis plusieurs siècles à ce propos). Cependant, si certains (pseudo-)philosophes se contentent de critiquer gratuitement une seule religion, Michel Onfray, lui, met à plat toutes les religions (principalement les trois monothéistes à l’origine des grandes civilisations de notre époque) et les mets en parallèle afin d’en étudier les points qui vont à l’encontre de sa théorie (à savoir l’hédonisme, c’est-à-dire la consécration du plaisir comme souverain bien).
Une petite remarque cependant : même s’il s’en défend (« Je ne méprise pas les croyants », préférant « combattre leurs bourreaux »), les propos de l’auteur sont quelques fois à la limite du manque de respect. A titre d’exemple, devant un musulman qui s’agenouille pour prier, il a « l’impression d’assister à une scène primitive ». 

Après une rapide préface et une introduction qui nous mettent en bouche, M. Onfray entre dans le vif du sujet. Dans la première partie, l’auteur nous relate l’histoire de l’athéisme - d’où il exclut Epicure et Spinoza, de l’abbé Meslier à Nietzsche, avant de nous expliquer pourquoi nous sommes toujours dans une société (bien que laïque) guidée par la religion (parfois par manque de culture - en prenant par exemple la crèche). Pour cela, il nous donne l’exemple des églises qui se vident le dimanche, mais qui restent toujours autant remplie les jours de Baptême, de mariage et d’enterrement ; et nous incitent à ouvrir les yeux sur la non-indépendance à la religion de la médecine occidentale et des comités d’éthiques laïcs, en citant la proximité avec la position de la Charte des personnels de la santé du Vatican, notamment sur les mères porteuses, la procréation médicalement assistée, le clonage, l’euthanasie etc. privilégiant les soins palliatifs et le rôle de la douleur. Selon Michel Onfray, il en est de même pour notre système judiciaire dans lequel « le juge peut jouer à Dieu sur Terre » en envoyant le criminel sexuel « croupir dans une cellule d’où on le sortira après avoir négliger la maladie qui l’afflige », sans compter sur les manuels de morale des écoles républicaines.
De cette façon, il en arrive même à accuser les philosophes contemporains tel que Luc Ferry, André Comte-Sponville ou même Bernard-Henri Lévy d’athéisme chrétien : c’est-à-dire un « négateur de Dieu qui affirme en même temps l’excellence des valeurs chrétiennes », « Jésus reste le héros des deux visions du monde, on lui demande seulement de ranger son auréole ». En toute honnêteté, le débat reste ouvert sur ce point car - selon moi, même si les proximités citées par M. Onfray sont fondées, il ne faut pas non plus aller jusqu’à renier les valeurs humaines qu’ont pu instaurer les religions et (en ce qui nous concerne) la philosophie des Lumières. Je serai d’ailleurs curieux de voir ce que proposerait l’auteur en remplacement de ces systèmes, mais il passe hélas trop rapidement sur sa théorie (peut-être voulait simplement avec ce livre ouvrir la voie à un second plus détaillé ?).

Dans une seconde partie, Michel Onfray tente de déconstruire les trois religions monothéistes en montrant à quel point – malgré les différences, elles peuvent se rejoindre, notamment sur la haine (de l’intelligence ; de la vie ; de l’ici-bas – au profit d’un au-delà ; du corps ; des femmes ; du sexe – pas de rapport anal car dissocié de la procréation, etc.), bien qu’il conçoit que « bien sûr, tous enseignent l’amour du prochain ». Il fait remarquer que seuls les Hommes sont capables de s’inventer des Dieux, de se prosterner, de s’humilier (bien que l’on pourrait lui objecter que ce ne sont pas les seules différences entre les Hommes et les animaux) ; que les religions « vantent un au-delà (fictif) pour empêcher de jouir pleinement de l’ici-bas (réel) » ; que le christianisme – par le biais du jardin d’Eden où tout est permis sauf l’intelligence et l’immortalité (arbre de la connaissance et de la vie), invente un Dieu suffisant pervers pour réserver aux Hommes l’imbécillité et la mortalité ; il dénonce la honte juive de devenir père d’une fille ou la supériorité dans l’islam des mâles sur les femelles, la circoncision « qui consiste à retrancher une partie saine d’un enfant non consentant sans raison médicale – la définition juridique de… la mutilation » ; la légitimation des coups sur son épouse en cas de suspicion ( !) ; fait remarquer que les trois monothéismes réprouvent sur le fond l’esclavage (puisqu’ils l’interdisent pour les membres de leur communauté) mais ne le condamnent ou ne l’interdisent pas forcément.

Puis, l’auteur se penche sur la déconstruction plus particulière du christianisme dans une troisième partie en commençant par citer les origines historiques (douteuses) de la Bible et les contradictions qu’elle contient : « autant de signes qui témoignent d’une construction postérieure, lyrique et militante de l’histoire de Jésus » ; puis démontre comment - dès ses origines, l’Eglise séduit et flatte les personnes qui détiennent le pouvoir, légitime et justifie le dénuement des miséreux, afin de se ranger du côté des tyrans ; expose au grand jour qu’elle n’interdit pas l’esclavage, et chasse le paganisme (ainsi que le judaïsme).

Dans la quatrième et dernière partie, M. Onfray veut déconstruire les théocraties qui supposent la revendication du pouvoir issu de Dieu, afin de pouvoir réfléchir ensuite à une nouvelle éthique car, selon lui, il n’y a « nul besoin de menacer d’un Enfer ou de faire miroiter un Paradis […] pour inviter à l’action bonne, juste et droite » : « mieux vaut une vérité qui désespère tout de suite […] qu’une histoire qui console sur le moment, certes, mais fait passer à côté de notre seul vrai bien : la vie ici et maintenant ». En effet, toujours selon lui, le paradis promis par les religions n’est rien d’autre qu’un antimonde où « tout ce qui a été interdit devient libre d’accès »…
L’auteur explique ainsi que les trois Livres peuvent justifier autant les actes les plus doux et aimants que les plus cruels et intolérants ; puis se penche plus spécialement sur les relations ambiguës qu’ont pu entretenir l’Eglise et Adolf Hitler (qu’il ne considère pas vraiment comme un athée) avant et pendant la guerre, sans compter ensuite après la guerre avec le nazisme sous toutes ses formes.

Bien entendu, tout au long du livre (qui ne respecte pas toujours l’ordre et le contenu des chapitres attitrés) ressortent quelques exemples d’incitation (mêmes indirectes)  à des bains de sang des religions telle que les attentats terroristes, les expéditions punitives dans la bande de Gaza, les agissements des prêtres pédophiles, les bûchers chrétiens, les fatwas musulmanes etc. Les exemples pleuvent sur les trois religions concernées sans aucune « préférence », et l’auteur termine en nous affirmant que devant un tel choix, il préfère encore la philosophie…

En guise de conclusion et pour donner mon avis personnel, en tant qu’agnostique (non-croyant qui ne nie pas pour autant l’existence de Dieu), je dois dire que j’ai été un peu déçu par cet ouvrage, tellement le concept me paraissait innovant et génial : je m’attendais à voir Michel Onfray opposer à chaque contrainte de la religion une théorie hédoniste qui nous aurait encouragé à profiter de chaque instant de la vie afin de ne pas la gâcher, car nous n’en avons qu’une ; ce livre ressemble au final plus à un procès des religions monothéistes qu’à une véritable incitation à devenir athée, ne laissant que peu, très peu (voire aucune) place à sa théorie sur le dépassement de la théocratie. C’est mon petit regret : cet essai n’arrivera pas à convaincre un croyant (même hésitant) de changer d’avis… Il reste cependant très intéressant à lire, et je le recommande fortement à quiconque est intéressé par le sujet.

A noter qu’un anti-traité d’athéologie est paru quelques temps après, et qu’il fera prochainement l’objet d’une étude sur ce blog. Sachant que l’objectivité n’est pas le point fort de notre philosophe, je pense que nous aurons droit à quelques belles surprises…

PS : C’est ma plus longue chronique depuis que j’ai ouvert ce blog, désolé si je l’ai été un peu trop, mais j’ai préféré ne pas la diviser en deux parties (comme j’avais pu le faire, par exemple, pour celle consacrée au projet socialiste) afin que vous puissiez rester tout au long de sa lecture dans le vif du sujet.
Vos impressions et commentaires seront - bien évidemment et comme toujours, les bienvenus.

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Commentaires
M
Bonjour Monsieur BASTOGI,<br /> <br /> C'est avec 11 ans de retard que je découvre votre blog, en <br /> <br /> particulier votre article sur le « Traité d'athéologie » de Michel<br /> <br /> ONFRAY ! J'espère qu'il n'est pas trop tard pour réagir, parce que je <br /> <br /> souhaite connaître votre avis, et surtout vos critiques, à propos de mon point de vue inhabituel (psycho-neurophysiologique de l'origine éducative et culturelle de la foi, ainsi que de son imprégnation <br /> <br /> précoce dans les neurones du cerveau émotionnel, puis rationnel ...<br /> <br /> <br /> <br /> Aux yeux de l'athée que je suis, le but de Michel ONFRAY <br /> <br /> (y compris dans ses vidéos et interviews actuelles) n'est pas de <br /> <br /> « convaincre un croyant (même hésitant) de changer d'avis ». <br /> <br /> Je pense en effet qu'en matière de croyance religieuse, on ne peut <br /> <br /> se convaincre que par soi-même, par une adhésion intime.<br /> <br /> Et pour cause : il est impossible de démontrer une inexistence <br /> <br /> (et donc celle de « Dieu »), sauf en mathématiques, par l'absurde. <br /> <br /> On ne peut que se forger une opinion, une "vérité" personnelle, <br /> <br /> partielle et provisoire, au contact de celles des autres. <br /> <br /> J'en ai fait l'expérience :<br /> <br /> <br /> <br /> J'ai d'abord été croyant (protestant « libéral ») jusqu'à 21 ans, en 1960, lorsque j'ai enfin découvert les options non confessionnelles qui m'avaient été occultées (de bonne foi ?). Auparavant, je me croyais donc du bon côté de la « barrière dogmatique ». J'ai rapidement été <br /> <br /> convaincu par les arguments rationnels et scientifiques de l'inexistence objective de Dieu, mais il m'a quand même fallu environ trois ans (!) pour m'affranchir totalement de l'influence affective de ma <br /> <br /> foi, avant d'oser dire, comme le journaliste scientifique belge Paul <br /> <br /> Danblon (agnostique mais « à tendance, à connotation athée") : <br /> <br /> "Dieu, si tu existes, j'ai un "oeuf à peler" avec toi, qui permets la mort <br /> <br /> d'enfants, etc"...<br /> <br /> <br /> <br /> Pour tenter de comprendre ce « décalage », j'ai lu de très nombreux <br /> <br /> ouvrages et correspondu avec des biologistes, des philosophes, des <br /> <br /> psychologues, des neurophysiologistes et des psychiatres croyants et athées, etc. C'est ainsi que j'ai pris conscience de l'influence inconsciente de toute éducation religieuse : il est acquis depuis longtemps qu'elle laisse dès l'âge de trois ans des traces le plus souvent indélébiles dans les neurones des amygdales du cerveau émotionnel, puis rationnel.<br /> <br /> <br /> <br /> J'en ai conclu que, jusqu'à preuve très improbable du contraire, les dieux n'ont qu'une existence subjective, imaginaire et donc illusoire, parce qu'on les a introduits, précocement en l'absence d'esprit critique, et ensuite à l'âge adulte, dans la tête pour en faire des croyants. A contrario d'ailleurs, chez les enfants de parents non croyants, la foi n'apparaît pas, sauf influences parasites. <br /> <br /> Il est par ailleurs rare qu'un croyant, au-delà de l'adolescence et après environ 25 ans, puisse encore remettre en question ses options fondamentales, ce qui risquerait de le déstabiliser dans ses certitudes, ou de le décrédibiliser.<br /> <br /> Je m'en explique plus longuement dans le lien, in fine. <br /> <br /> <br /> <br /> En conclusion, je condamne toutes les religions, en fonction de la soumission qu'elles imposent, et parce qu'elles occultent autant que possible toute alternative ultérieure non confessionnelle, mais je respecte les croyants qui en sont victimes (sauf évidemment les « fous de « Dieu », d'Allah » ou de « Jéhovah » !). <br /> <br /> Je respecte d'autant plus les croyants sincères si c'est en connaissance de cause et à la lumière du libre-examen, qu'ils ont choisi de croire. Je comprends aussi les croyants lorsqu'ils voient une manifestation de Dieu à travers les apparents « prodiges »<br /> <br /> de la nature (par exemple le génome, les différents stades embryonnaires, le cerveau, l’oeil, etc.…). En effet, il est très difficile, voire impossible, aux moins que centenaires que nous sommes de prendre conscience d'une durée de centaines de millions d'années, et donc de son influence sur l’évolution animale, en particulier sur le néocortex, devenu capable d’imaginer un dieu protecteur sécurisant, ou une « Intelligence supérieure et créatrice ».<br /> <br /> <br /> <br /> Je regrette comme vous que Michel ONFRAY, en alternative à la condamnation des religions, n'ait pas proposé ni promu un système éducatif qui ferait respecter les valeurs humanistes de la DUDH de 1948 (l'humanisme laïque n'étant pas nécessairement athée).<br /> <br /> Sous nos latitudes intellectualisées, malgré les réactions prosélytes des religions, même si elles ne sont pas en perte de vitesse, l'athéisme et l'agnosticisme progressent, mais très lentement, sauf notamment aux États-Unis où, en l'absence des alternatives laïques volontairement occultées, on est croyant ou déiste à près de 97 %, y compris les francs-maçons ... !<br /> <br /> <br /> <br /> Dois-je préciser que je ne cherche pas à convaincre que mon point de vue inhabituel soit plus pertinent que celui d'un croyant ? Je tiens seulement à faire usage de ma liberté d'expression, respectueuse de celle des croyants. Je souhaite avant tout que les libertés de conscience et de religion, bien que constitutionnelles, deviennent plus effectives que symboliques, afin que le plus grand nombre d'adolescents puissent vraiment choisir, en connaissance de cause et aussi librement que possible, de croire OU de ne pas croire. <br /> <br /> Ils pourraient alors se demander, par exemple, si « Jésus », dont l'existence est théoriquement possible, a vraiment dit tout ce qu'on lui a fait dire depuis deux millénaires, et surtout prendre conscience de la manipulation mentale et affective imposée par toutes les religions pour maintenir leur mainmise sur les consciences.<br /> <br /> <br /> <br /> Voici le lien où j'ai proposé une modeste hypothèse explicative de l'origine psycho-neurophysiologique, éducative et culturelle de la foi, ainsi que de sa fréquente persistance neuronale : http://originedelafoi.eklablog.com/-a126973612<br /> <br /> <br /> <br /> Au plaisir de vous lire !<br /> <br /> Cordialement,<br /> <br /> Michel THYS,<br /> <br /> à Ittre en Belgique.<br /> <br /> michel.thys357@gmail.com
M
>>Bastogi: Oui, c'est bien celui-là. Comme ce sont des manuscrits qui datent depuis très très longtemps, les archéologues n'en ont retrouvé que des bribes mais enfin, grâce aux notes de bas de page, on comprend très bien. Tu verras, c'est très intéressant. Bonne lecture.
B
>> Medhi : Oui, on est à peu près sur la même longueur d’onde, si ce n’est que moi, je ne cherche pas (ou plus ?) à me poser des questions de ce genre…<br /> Ce livre-là ? http://livre.fnac.com/a2058321/James-Robinson-Nag-hamadi?PID=1&Mn=-1&Ra=-1&To=0&Nu=1&Fr=0<br /> Merci du conseil, je jetterai un coup d’œil dessus ;-) !
M
>>Bastogi: là je pense qu'on est sur la même longueur d'onde, dans le sens qu' il y a quelque chose derrière tout ça. Quoi? Comment est-ce?Personnellement je n'en sais rien(bien malin celui qui prétendrait le savoir). Le fait qu'il y ait quelque chose implique-t-il de se rendre dans un lieu de culte et de prier selon un canevas défini? De nouveau, je ne pense pas.<br /> J'ai lu - il n'y a pas si longtemps - le livre des gnostiques "Les écrits de Nag Hammadi". C'est vraiment impressionant la foule de détails que l'on y trouve et qui remettent en question pas de "dires" que l'on retrouve dans les écrits bibliques ... A lire (ne fut-ce que pour se faire une idée).
B
>> Medhi : On est d’accord, c’est d’ailleurs ce que je reproche à Michel Onfray : nier l’existence d’un Dieu (puisqu’il faut bien mettre un nom sur ce « quelque chose » ;-) est d’une prétention inouïe !<br /> Le fait de rejeter toute sorte de Morale, c’est justement un des principaux arguments qu’avancent les croyants (en tout cas ceux avec qui j’ai pu converser) : l’athéisme conduit au chaos… C’est un argument que je comprends tout à fait, mais – encore une fois, ce n’est pas ce qui me convaincra de changer d’opinion : ce n’est pas par peur du chaos (donc, quelque part uniquement par intérêt) que j’ai envie de croire en quelque chose. D’autant plus que, par exemple, la Philosophie des Lumières - qui a engendré les Droits de l’Homme, est parfaitement capable de se substituer à la religion en terme de Morale (Philosophie qui est d’ailleurs rejetée par certains croyants à cause de cela…).<br /> Je fais uns distinction entre croire en un Dieu (dans le sens un Dieu quelconque) et croire en Dieu (dans le sens un Dieu défini par une religion, quelle qu’elle soit) : imaginer qu’il y a une Puissance derrière la création du Monde ne revient pas à aller à la messe tout les dimanches (par exemple)…
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