Sarkozysme aigu
Je tiens à commencer cette chronique en affirmant tout le
respect que j’ai pour Bernard Laporte, sportivement parlant. Le rugby est un
sport très complexe et je dois bien dire que je lui fais entièrement confiance
quant à ses choix (que ce soit au niveau des joueurs sélectionnés ou des
tactiques envisagées) pour mener l’équipe de France le plus loin possible dans
la compétition.
Sur le plan humain, je ne le connais pas suffisamment pour
pouvoir juger, mais je l’ai assez vu à la télévision et entendu à la radio pour
savoir que – contrairement à certaines apparences, il a une personnalité bien
trempée. Ce qui n’est pas forcément un mal en soit, surtout lorsque l’on doit –
en tant que sélectionneur d’une équipe de France, affronter ce mal bien
français qui est de critiquer à tout va chaque décision prise… On a ainsi déjà
pu voir M. Laporte remettre à leur place plusieurs journalistes (entre autres,
lorsqu’il ne traite pas les spectateurs du stade de France de « bourgeois
de m*** ») qui bien souvent tentaient de remettre en cause ses propres
choix, mais aussi parfois cherchaient simplement à faire connaître un peu plus ce
sport à leurs auditeurs/téléspectateurs en vue de cette coupe du Monde… Bon,
sur ce point, je ne serais pas trop sévère avec Bernard Laporte car tout
d’abord j’estime que personne n’est parfait et chacun possède des limites
(notamment lorsque l’on se rappelle le mal que certains ont pu faire à l’équipe
de France de football en 98), ensuite je ne peux que le suivre lorsqu’il annonce
que si les journalistes (sportifs) étaient si forts que ça, ce serait eux qui
se trouveraient à sa place.
Sur le plan politique, on le sait, M. Laporte a apporté son
soutien à Nicolas Sarkozy et est en voie de devenir un de ses secrétaires
d’Etat. Encore une fois, ce n’est pas moi qui irais le lui reprocher, chacun
étant libre de ses orientations et de ses choix, bien que je ne sois pas
spécialement pour que l’on amalgame le sport (ou une autre activité, artistique
par exemple) avec la politique. Toujours est-il que Bernard Laporte n’a pu que
forcer le respect lorsqu’il a répondu qu’il resterait concentré sur l’équipe de
France de rugby jusqu’à la fin de (sa participation à) la coupe du Monde, et
qu’il ne mélangerait pas les deux activités qu’il savait bien distinctes…
Jusqu’à…
Jusqu’à ce début de coupe du Monde. Jusqu’à ce qu’il
entreprenne de faire lire aux joueurs la lettre de Guy Môquet juste avant le
match d’ouverture, cette fameuse lettre qui a tant fait de bruit (il faut dire
que lire la lettre d’un jeune condamné à être fusillé durant la guerre de 39-45
à des joueurs de rugby – répertorié, rappelons-le, comme sport de combat, avant
un match, ce n’était peut-être pas le meilleur choix pour les préparer et les
motiver), d’autant plus que cette lettre avait été récemment utilisée par M.
Sarkozy (inutile – je pense, de préciser dans quelles circonstances), ce qui
rajoutait un peu au caractère hors propos de cette initiative… J’avais
finalement réussi à passer l’éponge sur ce détail, me disant que les images
n’auraient jamais dû sortir des caméras de TF1 avant la fin de la coupe du
Monde (ce qui avait d’ailleurs provoquer la colère des joueurs), et que M.
Laporte n’avait rien chercher de plus que de créer un élan
« patriotique » au sein de ses joueurs afin qu’il soient fiers du
maillot qu’ils portent et cherchent à le défendre du mieux qu’ils le peuvent…
Mais Bernard Laporte persiste et signe dans ce que
j’appellerai un sarkozysme aigu et (surtout, car comme je le disais plus
haut chacun est libre de ses choix) déplacé : après la victoire du
XV de France face à l’Irlande vendredi dernier, il n’a rien trouvé de mieux à
répondre à la question « Comment vous sentez-vous après ces deux
semaines difficiles ? » que « Moi je ne vous lis pas et
heureusement parce qu’il y a tellement de c***. J’ai confiance en un homme si
vous voulez en parler qui est le président de la République. Il n’y a pas de
relation entre mon nouveau métier et celui que je fais là. Je sais que ce sont
mes dernières émotions. Après je passerai à un autre métier avec la confiance
d’un homme qui est grand. Il nous l’a prouvé ce soir […] Si tout le
monde était comme lui, ce pays se porterait mieux » ( !).
Navré, M. Bernard Laporte, mais vous êtes ma cible du jour, car lorsque l’on déclare il y a encore ne serait-ce que quelques semaines que l’on ne veut pas tout mélanger, le minimum serait de rester fidèle à ses propos. Certes, les journalistes n’ont pas été tendres avec vous - j’étais et suis toujours le premier irrité face à ce genre de réactions et de critiques ; mais il y a des personnes dont je fais partie qui n’ont que faire de votre amitié et votre admiration envers Nicolas Sarkozy, alors ne profitez pas de votre situation de sélectionneur de l’équipe d’une nation qui reçoit la coupe du Monde pour nous exposer lourdement vos opinions !