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Le grand salon de discussion
12 septembre 2006

Préférez-vous une vraie tristesse ou une fausse joie ?

En lisant l’essai du philosophe André de Comte-Sponville intitulé Le bonheur, désespérément, j’en suis arrivé – juste après l’habituelle définition personnelle de la philosophie, à cette question : Vaut-il mieux une vraie tristesse qu’une fausse joie ?
Cette question m’a d’autant plus intrigué que je ne suis pas – en tout cas au premier abord, d’accord avec l’auteur, et que pour lui la réponse est très claire : est philosophe dans l’âme celui qui aime le bonheur, mais qui aime encore plus la vérité…
Tout d’abord, mais je ne m’attarderais pas là-dessus, je tiens à préciser que pour moi philosopher, c’est chercher à vivre mieux, tout simplement : la question de la vérité – même si elle reste essentielle et peut faire l’objet d’un chapitre, ne devrait en aucun cas figurer dans la définition de la philosophie.

 Je pense qu’il est primordial dans un premier temps de bien définir les termes de la question, afin de pouvoir au mieux y répondre. Pour moi, toute la difficulté réside dans l’ambiguïté de « fausse joie ».
Au sens commun, une fausse joie est une nouvelle que l’on apprend et qui nous rend heureux, et dont on apprend ensuite qu’elle n’était pas vraie…
Dans ce sens, on peut dans un premier temps se dire qu’une fausse joie vaut toujours mieux qu’une vraie tristesse : puisque la vie est faite de hauts et de bas, autant ne pas cracher sur les moments heureux, si courts puissent-ils être.
Cependant, lorsque l’on se penche d’un peu plus près sur la question, on peut voir qu’une fausse joie n’est pas toujours préférable à une triste vérité, car la désillusion qui s’ensuit peut s’avérer fort désagréable.
Par exemple, un célibataire devrait peut-être mieux le rester en attendant de trouver la personne qui lui convient, plutôt que de tomber amoureux d’une qu’il croira amoureuse de lui, et dont il s’apercevra peu de temps après qu’il n’en était rien…
Plus amer, une femme qui tombe enceinte mais finit par faire une fausse couche peut, après-coup, tellement être tombée de haut qu’elle décidera de ne plus tenter l’expérience par peur d’un nouvel échec.

Ainsi, une triste vérité vaut mieux qu’une dure désillusion. Mais l’auteur entend-t-il vraiment fausse joie dans ce sens ? Rien n’est moins sûr.
Tout d’abord, nombre d’entre vous pourraient me faire remarquer que les exemples que je viens de donner ne sont nullement des fausses joies, mais plutôt des vraies tristesses… Et ce serait exact ! En tout cas, selon le point de vue d’où l’on se place.
Je pense que vous pouvez maintenant saisir l’ambiguïté dont j’ai parlé plus haut sur ces termes : pourquoi l’auteur opposerait-il une vraie tristesse à une fausse joie, sachant que celle-ci s’ensuit toujours d’une triste vérité ? Peut-être ne veut-il en fait seulement évoquer la fausse joie (et je dois bien dire que les paragraphes qui précèdent l’interrogation vont plutôt dans ce sens) qu’en tant que bonheur dans le faux, le mensonge…
Et dans ce sens – encore une fois, il n’est pas aussi évident qu’il y parait de répondre.
Evidemment, si le choix nous est proposé entre continuer à vivre dans notre mensonge, ou bien connaître la vérité, je pense que nous choisirions tous la vérité - même si celle-ci doit nous attristé, ne serait-ce que par curiosité.
Cependant, si le choix ne nous est pas posé aussi directement, si nous ne nous doutons pas que la « réalité » dans laquelle nous vivons n’est pas vraie, irions-nous chercher la vérité, uniquement par goût de la vérité avant le bonheur ? En d’autres termes : préférez-vous vivre malheureux dans la vérité plutôt qu’heureux dans une illusion ?
Je ne crois pas – bien que j’y mette un bémol, cela relèverait presque pour moi du masochisme…

Je suis conscient qu’avec de tels propos, l’auteur cible principalement la religion, et je peux comprendre qu’en ce sens la triste vérité sera toujours préférable aux yeux du philosophe que la croyance aveugle.
Mais l’auteur ne cible pas seulement la religion, car il commence par opposer le bonheur à la vérité, puis à la triste vérité. Ainsi, il s’adresse selon moi à des philosophes qui ont rejeté la religion mais qui continuent de vivre dans une bienheureuse ignorance, et s’en satisfont - du moment que cela les touche personnellement.
C’est surtout dans ce cas que j’aurais du mal à répondre aussi catégoriquement que M. de Comte-Sponville. Par exemple, si ma femme me trompait : si j’avais vingt ou trente ans, je souhaiterais sûrement le savoir, car je serais encore suffisamment jeune pour pouvoir refaire ma vie, plutôt que de continuer celle-ci dans l’illusion de combler ma compagne.
Mais si j’avais soixante ou soixante-dix ans, voudrais-je vraiment le savoir, même (et j’insisterai bien là-dessus) si je n’ai absolument aucun doute sur ce point ? Bien sûr, il m’arrivera peut-être de poser la question, mais ce sera plus histoire de me conforter que pour connaître la vérité, car je n’aurais pas grand-chose à y gagner.
Je suis d’accord que l’Amour est un mauvais exemple, car tout le monde sait que le cœur a ses raisons que la raison ignore, et je m’excuse d’avance auprès de ceux qui voudraient me le reprocher ; mais pour moi (mais ça fera sûrement l’objet d’une autre chronique), le bonheur, c’est en grande partie l’Amour qu’on se porte mutuellement avec ma compagne – alors c’est le meilleur exemple que j’ai trouvé…
Prenons-en un autre : si je suis passé à côté d’une superbe occasion – de quoi que ce soit (gagner de l’argent, emballer une jolie fille, me rabibocher avec quelqu’un, trouver un bon boulot etc.), que cela me rendrait triste de l’apprendre, et que je ne pourrais hélas plus rien y faire, je ne pense pas que ce soit préférable que je connaisse la vérité, et je n’irais pas forcément la chercher…

Vous l’aurez compris, je ne suis pas tout à fait d’accord avec André de Comte-Sponville, mais je tiens à me répéter, cela dépend des cas : si une vérité me plonge dans une tristesse que je pourrais surmonter afin de repartir à la recherche du (d’un autre ?) bonheur, ou si l’illusion dans laquelle je vis commence à me faire me poser des questions quant à sa véracité, je choisirais la vérité au bonheur ; mais – en poussant à l’extrême, si une triste réalité doit faire s’écrouler toute ma vie, et que je n’aurais pas le moindre doute quant à son existence, je ne remuerais jamais ciel et terre pour la connaître. En tout cas, pas par amour de la vérité plus que de celui du bonheur…
Navré de vous dire ça alors que la chronique touche à sa fin, mais cela veut dire que je ne suis pas – en tout cas pas selon M. de Comte-Sponville, philosophe dans l’âme ;-)

Vos propositions, opinions et exemples seront évidemment les bienvenus.

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Commentaires
A
Le monde de l’illusion possède un pouvoir de fascination qui nous empêche de voir la réalité comme elle se présente. Son pouvoir est dû à notre pensée fragmentaire. Pour résoudre ce problème nous devons apprendre à sortir de ce mode de fonctionnement mental habituel et percevoir, de manière plus ouverte et plus intuitive, ce qui se cache derrière le monde des apparences. Cet exercice exige une approche complètement différente de notre manière actuelle de discerner ce qui nous entoure, mais nécessite surtout une remise en question de nos certitudes afin d’être réellement en mesure de vérifier leur exactitude. Il s’avère que beaucoup ne désirent pas vraiment renoncer à leurs convictions et à leurs habitudes. "C’est surtout ce manque de volonté de changement qui conduit l’homme à persévérer dans le trompeur et l’irréel." (Alex Mero)
S
It really a useful idea.I will have a tiral of this idea as soon as possible as have already frustrated by them for a long time.Thank you very much for your continously post of effective tips.
B
>> Philipo : Merci pour le compliment. Je profite de l'occasion pour inviter ceux qui s'intéressent à la philosophie à venir jeter un œil sur ton blog, ils trouveront l’adresse dans les « liens de confrères » (colonne de droite), mais si tu mettais ton adresse directement en lien sur ton pseudo (lorsque tu postes des commentaires), ce serait sûrement mieux…
P
Pour en revenir à ta "défition personnelle de la philosophie", j'ai lu ton article et tu nous dis que tu n'est pas un philosophe dans l'âme, en tout cas pas comme André Comte-Sponville. Mais il s'agit de répondre aux questions que l'on se pose si l'on accepte de vivre, et non à formuler sans fin de nouvelles problématiques. Il faut pour cela revenir à l'intérogation antique : "comment dois-je vivre ?" La philosophie est, très précisément, l'art de rendre possible la vie. Il ne faut pas faire semblant de philosopher mais philosopher pour de bon ; car nous n'avons pas besoin de paraître en bonne santé mais de l'être vraiment.<br /> Continue, tes articles sont très intéressants.<br /> <br /> A bientôt
B
Ah oui ! Bien vu ! Je n’avais pas vu les choses sous cet angle…<br /> Un point pour toi Arlequin !
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