Préférez-vous une vraie tristesse ou une fausse joie ?
En lisant l’essai du philosophe André de Comte-Sponville
intitulé Le bonheur, désespérément, j’en suis arrivé – juste après
l’habituelle définition personnelle de la philosophie,
à cette question : Vaut-il mieux une vraie tristesse qu’une fausse
joie ?
Cette question m’a d’autant plus intrigué que je ne suis pas
– en tout cas au premier abord, d’accord avec l’auteur, et que pour lui la
réponse est très claire : est philosophe dans l’âme celui qui aime le
bonheur, mais qui aime encore plus la vérité…
Tout d’abord, mais je ne m’attarderais pas là-dessus, je
tiens à préciser que pour moi philosopher, c’est chercher à vivre mieux, tout
simplement : la question de la vérité – même si elle reste essentielle et peut faire l’objet d’un chapitre, ne
devrait en aucun cas figurer dans la définition de la philosophie.
Au sens commun, une fausse joie est une nouvelle que l’on
apprend et qui nous rend heureux, et dont on apprend ensuite qu’elle n’était
pas vraie…
Dans ce sens, on peut dans un premier temps se dire qu’une
fausse joie vaut toujours mieux qu’une vraie tristesse : puisque la vie
est faite de hauts et de bas, autant ne pas cracher sur les moments heureux, si
courts puissent-ils être.
Cependant, lorsque l’on se penche d’un peu plus près sur la
question, on peut voir qu’une fausse joie n’est pas toujours préférable à une
triste vérité, car la désillusion qui s’ensuit peut s’avérer fort désagréable.
Par exemple, un célibataire devrait peut-être mieux le
rester en attendant de trouver la personne qui lui convient, plutôt que de
tomber amoureux d’une qu’il croira amoureuse de lui, et dont il s’apercevra peu
de temps après qu’il n’en était rien…
Plus amer, une femme qui tombe enceinte mais finit par faire
une fausse couche peut, après-coup, tellement être tombée de haut qu’elle
décidera de ne plus tenter l’expérience par peur d’un nouvel échec.
Ainsi, une triste vérité vaut mieux qu’une dure désillusion.
Mais l’auteur entend-t-il vraiment fausse joie dans ce sens ? Rien n’est
moins sûr.
Tout d’abord, nombre d’entre vous pourraient me faire
remarquer que les exemples que je viens de donner ne sont nullement des fausses
joies, mais plutôt des vraies tristesses… Et ce serait exact ! En tout
cas, selon le point de vue d’où l’on se place.
Je pense que vous pouvez maintenant saisir l’ambiguïté dont
j’ai parlé plus haut sur ces termes : pourquoi l’auteur opposerait-il une
vraie tristesse à une fausse joie, sachant que celle-ci s’ensuit toujours d’une
triste vérité ? Peut-être ne veut-il en fait seulement évoquer la fausse
joie (et je dois bien dire que les paragraphes qui précèdent l’interrogation
vont plutôt dans ce sens) qu’en tant que bonheur dans le faux, le mensonge…
Et dans ce sens – encore une fois, il n’est pas aussi
évident qu’il y parait de répondre.
Evidemment, si le choix nous est proposé entre continuer à
vivre dans notre mensonge, ou bien connaître la vérité, je pense que nous
choisirions tous la vérité - même si celle-ci doit nous attristé, ne serait-ce
que par curiosité.
Cependant, si le choix ne nous est pas posé aussi
directement, si nous ne nous doutons pas que la « réalité » dans
laquelle nous vivons n’est pas vraie, irions-nous chercher la vérité,
uniquement par goût de la vérité avant le bonheur ? En d’autres
termes : préférez-vous vivre malheureux dans la vérité plutôt
qu’heureux dans une illusion ?
Je ne crois pas – bien que j’y mette un bémol, cela
relèverait presque pour moi du masochisme…
Je suis conscient qu’avec de tels propos, l’auteur cible
principalement la religion, et je peux comprendre qu’en ce sens la triste
vérité sera toujours préférable aux yeux du philosophe que la croyance aveugle.
Mais l’auteur ne cible pas seulement la religion, car il
commence par opposer le bonheur à la vérité, puis à la triste vérité.
Ainsi, il s’adresse selon moi à des philosophes qui ont rejeté la religion mais
qui continuent de vivre dans une bienheureuse ignorance, et s’en satisfont - du
moment que cela les touche personnellement.
C’est surtout dans ce cas que j’aurais du mal à répondre
aussi catégoriquement que M. de Comte-Sponville. Par exemple, si ma femme me
trompait : si j’avais vingt ou trente ans, je souhaiterais sûrement le
savoir, car je serais encore suffisamment jeune pour pouvoir refaire ma vie,
plutôt que de continuer celle-ci dans l’illusion de combler ma compagne.
Mais si j’avais soixante ou soixante-dix ans, voudrais-je
vraiment le savoir, même (et j’insisterai bien là-dessus) si je n’ai absolument
aucun doute sur ce point ? Bien sûr, il m’arrivera peut-être de poser la
question, mais ce sera plus histoire de me conforter que pour connaître la
vérité, car je n’aurais pas grand-chose à y gagner.
Je suis d’accord que l’Amour est un mauvais exemple, car
tout le monde sait que le cœur a ses raisons que la raison ignore, et je
m’excuse d’avance auprès de ceux qui voudraient me le reprocher ; mais
pour moi (mais ça fera sûrement l’objet d’une autre chronique), le bonheur,
c’est en grande partie l’Amour qu’on se porte mutuellement avec ma compagne –
alors c’est le meilleur exemple que j’ai trouvé…
Prenons-en un autre : si je suis passé à côté d’une
superbe occasion – de quoi que ce soit (gagner de l’argent, emballer une jolie
fille, me rabibocher avec quelqu’un, trouver un bon boulot etc.), que cela me
rendrait triste de l’apprendre, et que je ne pourrais hélas plus rien y
faire, je ne pense pas que ce soit préférable que je connaisse la vérité,
et je n’irais pas forcément la chercher…
Vous l’aurez compris, je ne suis pas tout à fait d’accord
avec André de Comte-Sponville, mais je tiens à me répéter, cela dépend des
cas : si une vérité me plonge dans une tristesse que je pourrais surmonter
afin de repartir à la recherche du (d’un autre ?) bonheur, ou si
l’illusion dans laquelle je vis commence à me faire me poser des questions
quant à sa véracité, je choisirais la vérité au bonheur ; mais – en
poussant à l’extrême, si une triste réalité doit faire s’écrouler toute ma vie,
et que je n’aurais pas le moindre doute quant à son existence, je ne remuerais
jamais ciel et terre pour la connaître. En tout cas, pas par amour de la vérité
plus que de celui du bonheur…
Navré de vous dire ça alors que la chronique touche à sa
fin, mais cela veut dire que je ne suis pas – en tout cas pas selon M. de
Comte-Sponville, philosophe dans l’âme ;-)
Vos propositions, opinions et exemples seront évidemment les
bienvenus.