Le bonheur, désespérément – André Comte-Sponville (Librio)
Cet ouvrage est la transcription d’une conférence qu’avait
donné dans le cadre des « Lundis philo » André Comte-Sponville,
philosophe français qui, comme bon nombre de philosophes - inspirés par Spinoza,
voit le bonheur dans une certaine forme de désespoir… Non pas de désespoir dans
le sens où quelqu’un est désespéré au point de vouloir tout abandonner, mais
désespoir dans le sens où nous n’aurions plus rien à espérer si nous nous
sentions comblés. C’est là tout ce que j’aime dans la philosophie : cette
façon de détourner les mots de leur sens commun afin d’en approfondir la
signification et d’en trouver une autre (la vraie ?).
L’auteur commence son essai en nous exposant sa définition
de la philosophie, à savoir que – fortement inspiré d’Epicure qu’il va
légèrement corriger, « la philosophie est une activité qui, par des
discours et des raisonnements, tend à nous procurer la vie
heureuse ». La philosophie recherche donc le bonheur, mais pas n’importe
lequel : le bonheur dans le vrai.
C’est déjà un grand pas en avant comparé à ce que le
« maître » de M. Comte-Sponville – Marcel Conche, écrivait, à savoir
que « la philosophie n’a pas en vue le bonheur » (seulement la
vérité)… Je vois mal en quoi la philosophie est à la recherche de la seule vérité
- question on ne peut plus abstraite pour moi, et surtout comment elle pourrait
arriver à la découvrir, car, après tout, qu’est-ce que la vérité ? Ne
dit-on pas qu’il n’y a pas une mais plusieurs vérités ? Celles que chacun
se fait des choses ? Bref, le bonheur et la vérité
ne sont pas le sujet d’aujourd’hui.
André Comte-Sponville nous explique donc comment, à ses
yeux, l’espoir peut nous faire passer à côté du bonheur. En effet, qu’est-ce
que l’espérance ? Je dois dire que sa définition m’a plu :
l’espérance, c’est un désir ; mais tout désir n’est pas forcément une espérance…
Pour qu’un désir devienne espérance, il faut tout d’abord que ce soit quelque
chose qui nous manque (sinon, ce serait un plaisir) ; ensuite, il
faut que ce soit quelque chose que nous ignorions (sinon, nous n’espérerions
pas, nous nous languirions) ; enfin, il faut que ce soit quelque
chose qui ne dépende pas de nous (sinon, c’est quelque chose que nous voudrions
faire), ainsi, « espérer, c’est désirer sans jouir, sans savoir, sans
pouvoir ». C’est pourquoi trop d’espérance nous fait manquer le bonheur
de jouir de ce que l’on possède au présent.
Apprendre à agir, à faire ce que nous voulons - voire ce que
nous désirons, à moins espérer le bonheur est le meilleur moyen de le vivre.
L’essai est suivi d’une série de questions à l’auteur qui
lui permettent de mieux étayer et exposer sa théorie, et que je n’aborderai pas
ici : j’ai tenté d’en résumer les grandes lignes, je vous laisse le
plaisir de lire son œuvre en intégralité si celles-ci vous ont interpellés.
Je dois bien dire que la théorie d’André Comte-Sponville est
une belle invitation à profiter de l’instant présent (à l’instar de ce que
disaient les philosophes grecs – les stoïciens), et à aimer chacun des
moments de sa vie, car nous n’en avons qu’une.
Cependant, mais cela n’est que mon opinion personnelle, permettez-moi
d’y émettre deux objections :
- Premièrement, s’il est vrai que trop
d’espérance nous fait manquer le bonheur de l’instant présent, je ne serais pas
aussi sévère que l’auteur envers l’espoir. En effet, je pense que l’espoir
a sa place dans la vie : tout d’abord parce qu’il y a des moments où
l’espoir est tout ce qu’il nous reste, et il nous permet de nous rattacher à
quelque chose alors que tout semble s’écrouler autour de nous ; ensuite
parce que je pense – comme le précise si bien l’auteur, qu’espérer quelque
chose, c’est aussi craindre son contraire, et craindre quelque chose peut nous
aider – dans certains cas, à anticiper le fait qu’elle arrive et donc à mieux
l’affronter. Espérer, à petite dose, c’est apprendre à faire des projets, à se
fixer un but, indispensables selon moi dans la vie d’aujourd’hui ;
- Deuxièmement, et je trouve amusant que
cette théorie ait été écrite par quelqu’un qui a des origines politiques
communistes, car elle me rappelle justement le communisme : comme lui,
cette théorie est excellente dans l’absolu, mais c’est sans compter sur la
nature « humaine » de l’Homme. L’espoir fait partie de la nature de
l’Homme, le combattre - en plus d’être peine perdue d’avance, revient à se
fixer un idéal (chose que rejette tout bon philosophe matérialiste) impossible
à atteindre… L’auteur en dit lui-même quelques mots en guise de
conclusion : sa théorie ne doit pas être prise comme une fin en soi (au
risque de tomber dans l’idéalisme), mais plutôt comme un but que l’on doit
poursuivre tout en sachant qu’on ne l’atteindra jamais. Je vais peut-être jouer
les difficiles, mais je trouve qu’une bonne philosophie ne doit pas être dès le
départ vouée à l’échec, ou en tout cas, nous ne devrions nullement nous en
contenter : profiter de l’instant présent est une belle invitation au
bonheur, mais c’est ce que j’appellerais « une philosophie des moments
heureux », car allez dire cela à quelqu’un à qui il n’arrive que des
malheurs depuis quelques temps… De plus, je vois mal comment on peut aimer (ou
ne serait-ce que tenter d’aimer) l’instant où l’on vient d’apprendre la
disparition de quelqu’un qui nous était cher… Les moments malheureux font tout
autant partie de la vie que les heureux, je serais même tenté de dire que sans
eux, ces derniers n’existeraient même pas ; aussi, tenter de les supprimer
en les ignorant ou en tentant de les « aimer » n’est pas – selon moi,
une bonne stratégie du bonheur (d’autant plus que c’est impossible) : il
ne s’agit donc là – toujours selon moi, que d’une théorie très alléchante, mais
insuffisante au bonheur : il ne faut pas s’en contenter mais plutôt
continuer à chercher.
Histoire de ne pas terminer cette chronique sur une note
négative quant à l’ouvrage en question, je tenais à dire que le livre m’a
réellement intéressé, et que j’ai trouvé qu’il est très facile à lire même pour
quelqu’un qui n’aime pas forcément la philosophie, et, le moins que l’on puisse
dire, c’est que dans ce domaine, c’est une sacrée qualité.
Si vous voulez d’ailleurs vous en faire une idée, vous en
trouverez un extrait sur le site de Philipo.